SAISIE CONSERVATOIRE ET CIRCONSTANCES SUSCEPTIBLES DE MENACER LA CREANCE DU TRESOR PUBLIC

Publié le 28/11/2021

Il résulte de l’article L 511-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe, peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire ».

Cette mesure de recouvrement est parfois utilisée par le Comptable du Trésor Public lorsqu’il craint qu’un débiteur organise son insolvabilité avant qu’il n’ait eu le temps d’émettre un avis d’imposition ou un avis de mise en recouvrement. Le tiers saisi, le plus souvent un établissement bancaire, bloque les sommes inscrites sur le compte bancaire à la date de la saisie mais ne les verse pas au Comptable du Trésor Public.

Toutefois, le Comptable du Trésor Public doit solliciter du juge de l'Exécution l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire et doit justifier de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

Dans le cadre d’une procédure diligentée à l’encontre d’une de nos clientes, le Comptable du Trésor Public faisait notamment valoir comme circonstance que le résultat dégagé au titre du dernier exercice clos par la société était déficitaire de  4 000 € alors que sa créance était de 320 000 €.

Il invoquait un seul arrêt rendu par la Cour de Cassation le 8 novembre 2001 N°00-17058 qui avait jugé que le péril dans le recouvrement existait pour une dette de plus de trois millions de francs alors que la société débitrice réalisait un bénéfice annuel de l’ordre d’un million de francs. Cet arrêt peut laisser que la Cour apprécie de manière large  le péril dans le recouvrement puisqu’un résultat bénéficiaire d’un million de francs peut laisser penser que la société dégagera une trésorerie suffisante au cours des années suivantes pour acquitter le montant de sa dette de 3 millions de francs.

Or, selon nous, cet arrêt est un arrêt d’espèce dont l’attendu ne saurait être transposé à toutes les demandes d’autorisation faites par le Comptable du Trésor Public auprès du juge de l’Exécution :

- concernant le montant de la dette à apprécier au montant du résultat

Une lecture attentive de l’arrêt fait tout d’abord apparaître que c’est le montant de la dette en principal (hors intérêts de retard et pénalités) qu’il convient de comparer au résultat réalisé. Appliqué au cas de notre cliente, c’est donc une créance de 173 000 € et non de 320 000 € qu’il convenait de comparer au résultat réalisé de – 4 000 €.

- concernant la transposition de l’attendu à toutes les demandes d’autorisation faite au juge de l’exécution

L’arrêt de la Cour de Cassation du 8 novembre 2001 concerne une société dénommée BRENCO FRANCE. Une recherche sur le site LEGIFRANCE permet notamment de démontrer que cette société :

- avait été impliquée dans l’affaire dite de l’Angolagate (arrêt de la Cour de Cassation, Chambre Criminelle, 21 avril 2020, 18-86635) ;

- avait fait l’objet de rectifications en matière d’impôt sur les sociétés au titre des exercices 1995 et 1996 en remettant en cause des prestations d’intermédiation en matière de commerce versées à des sociétés dont une située sur l’Ile de Man (arrêt de la CAA de PARIS du 29 septembre 2011 N°08PA04231) ;

- avait fait l’objet de rectifications en matière d’impôt sur les sociétés des exercices 1990 et 1991 de « frais de voyages et déplacements » et de « frais de missions et réceptions » d’un montant total de 1 444 069 francs et de 2 108 208 francs (CAA de PARIS du 22 décembre 2006 N°04PA03039).

On peut légitiment penser que c’est le caractère antérieur « sulfureux » de la société BRENCO FRANCE qui a amené la Cour de Cassation a juger qu’il y avait péril dans le recouvrement de la créance alors que la société réalisait pourtant un résultat bénéficiaire de 1 000 000 francs alors que sa dette fiscale était de 3 000 000 de francs.

Aussi, en cas de contestation de l’ordonnance rendue par le juge de l’Exécution autorisant la saisie conservatoire, il convient de faire valoir que cet arrêt, s’il est invoqué par le Comptable du Trésor Public,  est un arrêt d’espèce et que le caractère disproportionné entre le résultat dégagé et la dette fiscale ne doit pas être systématiquement retenu comme une circonstance susceptible de menacer le recouvrement de la créance du Trésor Public.

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