Loi de finances 2020 & crédit d’impôt recherche : des changements moins anodins qu’il n’y paraît …

Published 01/15/2020

A la lecture des articles 132 et 133 de la loi de finances pour 2020, la « sanctuarisation » du crédit d’impôt recherche (CIR), pourtant réaffirmée avec force depuis plus de dix ans, semble n’être plus qu’un lointain souvenir.

Certes, dès le 11 juillet 2019, lors du débat d’orientation des finances publiques à l’Assemblée Nationale, le ministre de l’économie et des finances avait réitéré que, contrairement au mécénat, dispositif amené à être réduit ou maîtrisé, le CIR constituait un « pilier » de la politique d’innovation de la France et un atout majeur de l’attractivité du territoire, tout en reconnaissant qu’il pourrait être impacté au niveau des dépenses de fonctionnement, dont le taux pourrait passer de 50 % à 43 %, dégageant ainsi 200 M€ dès 2021.

 

La loi de finances 2020 confirme cette orientation sur différents sujets.

 

I. Deux « vraies » bonnes nouvelles tout d’abord pour les entreprises en matière de fiscalité de l’innovation.

 

  1. Le législateur fait, partiellement, machine arrière en matière d’obligations déclaratives

 

Dans ce domaine, c’est en effet pour les entreprises le retour au pragmatisme, avec la légalisation de la doctrine administrative (BOI-BIC-RICI-10-10-60-20190417), pour le coup réaliste, et le relèvement à 100 M€ de dépenses éligibles du seuil (abaissé imprudemment à 2 M€ par la LF 2019) de l’obligation d’information sur la nature des dépenses financées par le CIR. Cette obligation documentaire impose aux entreprises concernées de déclarer, sur un état spécifique 2069-A-1-SD annexé à la déclaration 2069-A-SD, la nature des travaux de recherche en cours et pour lesquels elles bénéficient du CIR, l’état d’avancement des programmes, les moyens matériels et humains, directs ou indirects qui y sont consacrés, la part de titulaires d’un doctorat financés par ces dépenses ou recrutés sur leur base, le nombre d’équivalent temps plein correspondant et leur rémunération moyenne, et la localisation de ces moyens.

 

Cette obligation documentaire annuelle, en pratique inapplicable par la plupart des entreprises bénéficiant du CIR, redevient donc applicable au seules entreprises déclarant plus de 100 M€ de dépenses éligibles, et ce dès les dépenses déclarées à compter du 1er janvier 2020 (donc exposées depuis le 1er janvier 2019).

 

 

  1. Le statut « jeune entreprise innovante » est prorogé et assoupli :

 

❶ Le dispositif est en effet prorogé : toutes les entreprises créées jusqu’au 31 décembre 2022 pourront prétendre au statut JEI, dont on rappellera brièvement les avantages (jusqu’au 8ème anniversaire de la création de l’entreprise, sous conditions) :

 

  • exonération totale d’impôt sur les bénéfices réalisés pendant une première période de 12 mois, puis abattement de 50 % sur les bénéfices réalisés au cours de la période de 12 mois suivante ;

 

  • exonération de cotisations patronales d’assurances sociales et d’allocations familiales sur les rémunérations versées aux personnels « de recherche » ;

 

  • exonération (facultative) d’impôts locaux.

 

❷ Un assouplissement très technique des critères de qualification des JEI vient par ailleurs compléter les aménagements apportés. Ainsi, pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2019, les effets des variations de cours de monnaies ou de marché des valeurs mobilières de placement sont neutralisés pour le calcul du volume minimal des dépenses de recherche (au moins 15 % des charges fiscalement déductibles).

 

En d’autres termes, les pertes de changes et les charges nettes sur cessions de valeurs mobilières ne sont pas incluses dans les charges retenues pour apprécier le seuil de 15 %, ce qui sera moins pénalisant, mais ne devrait concerner qu’une infime partie des JEI existantes.

 

❸ A noter, enfin, que, comme pour le dispositif CIR (voir ci-après), le dispositif JEI devra faire l’objet d’un rapport du Gouvernement au Parlement, et ce avant le 30 juin 2022, portant sur le dispositif de soutien aux JEI. Ce rapport « précise les effets constatés des exonérations fiscales et sociales sur la création et le développement des entreprises éligibles, l’emploi et les projets de recherche et développement et d’innovation ». Ce rapport devra également « présenter les impacts estimés qu’auraient d’éventuelles évolutions du dispositif de soutien consistant notamment à étendre la définition des (JEI) (…), à prolonger de 8 à 10 ans la durée d’existence de l’entreprise, ou à borner dans le temps les exonérations de cotisations sociales (…) ».

 

S’il est bien entendu sain que l’efficacité des dispositifs fiscaux d’incitation ou d’exonération soit régulièrement évaluée, dans un souci de bonne gestion des deniers publics, nous nous montrerons à ce stade prudents quant aux conséquences que pourraient avoir un tel rapport sur un écosystème désormais bien familiarisé avec ce type de dispositif.

 

II. D’autres mesures ne sont certes pas favorables aux entreprises, mais il convient de reconnaître qu’elles s’inscrivent dans le souci de préserver les finances publiques (étant à cet égard rappelé que le CIR représente un investissement annuel pour l’Etat un peu supérieur à 6 milliards d’euros) et d’éviter certaines situations abusives, voire créatrices de distorsions de concurrence entre les entreprises.

 

  1. Le taux des dépenses de personnel, hors « jeunes docteurs », retenu pour calculer les dépenses de fonctionnement passe de 50 % à 43 %

 

Les dépenses de fonctionnement retenues dans l’assiette de calcul du CIR sont déterminées de manière forfaitaire. Elles correspondent à la somme algébrique :

 

  • des dépenses de personnel éligibles, retenues à hauteur de 50 % de leur montant (200 % de leur montant si ces dépenses se rapportent à un « jeune docteur »),

 

  • des dotations aux amortissements d’immobilisations éligibles, retenus à hauteur de 75 % de leur montant

 

 

Pour les dépenses exposées à compter du 1er janvier 2020, le taux de prise en compte des dépenses de personnel pour déterminer les dépenses de fonctionnement passe de 50 % à 43 %.

En revanche restent inchangés :

 

  • le taux 75 % pour les dotations aux amortissements des immobilisations affectés à la recherche ;

 

  • le taux de 200 % pour les dépenses de personnel se rapportant à un « jeune docteur ».

 

Cette modification s’applique également au crédit d’impôt innovation (CII). En revanche, pour le calcul du crédit d’impôt collection, les dépenses de personnel demeurent prises en compte à hauteur de 75 % de leur montant pour déterminer les dépenses de fonctionnement.

 

Cette situation pourrait toutefois ne pas être pérenne.

 

En effet, la loi de finances pour 2020 prévoit (article 133) la remise par le Gouvernement au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2021 d’un rapport sur le CIR, dédié, notamment, aux modalités de prise en compte des dépenses de fonctionnement déterminées au titre des « jeunes docteurs » et des « frais de collection ». Ce rapport devra préciser « le coût global et le coût médian et moyen par entreprise exposant ces dépenses, et (devra) faire état des pistes d’évolutions envisageables, notamment à travers un abaissement du taux (retenu pour les dépenses de personnel afférentes à des « jeunes docteurs » [NDLR : 200 %]) et un alignement des modalités prévues (pour le crédit d’impôt collection [NDLR : 75 %]).

 

Il ne faut donc pas exclure de nouvelles modifications du mode de détermination des dépenses de fonctionnement à compter de 2022 (voir pour les dépenses exposées en 2021).

 

  1. La prise en compte par les entreprises de dépenses exposées à raison d’opérations de recherche-développement éligibles confiées à des sous-traitants (dépenses « externes » de recherche) est plus strictement encadrée, et ce par le biais de deux mesures.

 

❶ Jusqu’à présent, une entreprise (donneur d’ordre) pouvait retenir dans l’assiette de calcul de son CIR ou CII les dépenses exposées à raison de travaux de recherche & développement éligibles confiés à des sous-traitants répondant aux conditions suivantes :

 

  • organismes publics ou assimilés (dépenses retenues pour le double de leur montant en l’absence de liens de dépendance) ;

 

  • organismes de recherche privés bénéficiant d’un agrément du MESRI (dépenses retenues dans la limite de trois fois le montant total des autres dépenses) ;

 

  • établis sur le territoire de l’UE / l’EEE.

 

Ces dépenses étaient susceptibles d’être retenues dans la limite de 2 M€ par an, portée à 10 M€ en l’absence de lien de dépendance, plafond majoré de 2 M€ à raison des dépenses confiées à des organismes publics (et assimilés).

 

Pour les dépenses exposées à compter du 1er janvier 2020, la sous-traitance « en cascade » est encadrée pour les besoins du CIR.

 

 

Ainsi, le donneur d’ordre ne pourra désormais retenir dans l’assiette de calcul de son CIR les dépenses liées à des opérations de recherche-développement sous-traitées à des organismes publics ou privés agréés qu’à la condition expresse que ces sous-traitants réalisent directement ces opérations.

 

A titre dérogatoire, le donneur d’ordre pourra retenir dans ses dépenses « externes » celles exposées par ces sous-traitants lorsqu’ils auront eux-mêmes eu recours à des organismes publics ou privées agréés pour la réalisation de « certains travaux nécessaires à ces opérations ».

 

En d’autres termes, désormais, seules les dépenses afférentes à des opérations de recherche réalisées par des sous-traitants, publics ou privés agréés, de niveau 1 ou 2, sont désormais susceptibles d’être prises en compte par le donneur d’ordre.

 

Par ailleurs, s’agissant de la prise en compte de dépenses de sous-traitance à raison d’opérations de recherche-développement confiées à des organismes publics (et assimilés) avec lesquels l’entreprise n’a aucun lien de dépendance, le doublement du montant retenu sera limité à « la seule part relative aux opérations réalisées par ces organismes ».

 

La rédaction de ce nouveau dispositif, qui vise à empêcher d’éventuels abus liés au tropisme historique du dispositif ayant pour ambition, part le doublement des dépenses retenues, de soutenir et favoriser la recherche publique, laisse toutefois perplexe.

 

En effet, en cas de sous-traitance en cascade impliquant des organismes publics, s’agit-il de limiter le doublement au seules dépenses relatives aux opérations de recherche-développement éligibles effectivement réalisées par le sous-traitant organisme public de premier niveau ? Ou bien, dès lors qu’il s’agit d’un organisme public ou assimilé et que les dépenses sont afférentes à des opérations de recherche-développement éligibles, peu importe le niveau 1 ou 2 du sous-traitant ?

 

A notre sens, la rédaction du texte, et l’esprit de la réforme, nous laissent penser que la seconde interprétation devrait prévaloir, mais il conviendra bien entendu d’attendre les commentaires de l’administration fiscale sur ce point.

 

  1. Création d’une obligation déclarative allégée pour les entreprises déclarant entre 10 M€ et      100 M€ de dépenses de recherche éligibles au CIR

 

Ces entreprises, qui avaient été soumises par la loi de finances pour 2019 à l’obligation d’information sur la nature des dépenses de recherche fort opportunément cantonnée de nouveau par la loi de finances pour 2020 aux seules entreprises déclarant plus de 100 M€ de dépenses de recherche éligibles (voir ci-dessus, § 1), doivent toutefois satisfaire à une nouvelle obligation déclarative, ciblée sur les « jeunes docteurs ».

 

En effet, cette obligation, qui porte sur les titulaires d’un doctorat employés par l’entreprise, impliquera de déclarer :

 

  • la part des titulaires d’un doctorat financés par les dépenses éligibles au CIR ou recrutés sur cette base ;

 

  • les effectifs de titulaires de doctorat et leur rémunération moyenne.

 

A noter que cette obligation n’est pas totalement nouvelle, et est issue en fait de celle incombant aux entreprises déclarant plus de 100 M€ de dépenses de recherche éligibles, qui prévoit également la déclaration de ces mêmes informations.

 

L’absence de dépôt de cette déclaration, requise des entreprises concernées pour les dépenses éligibles déclarées à compter du 1er janvier 2020 (donc exposées depuis le 1er janvier 2019), sera sanctionnée par une pénalité de droit commun soit 150 €.

 

  1. Remise de rapports par le Gouvernement au Parlement

 

❶ Avant le 30 septembre prochain, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport  dédié aux sujets suivants :

 

  • l’application du seuil de 100 M€ au sein des groupes fiscalement intégrés (VS risques de répartition artificielle des dépenses entres sociétés du groupe) ;

 

  • les abus constatés au titre des dépenses de personnel dans le cadre de vérifications (s’agissant, notamment, de la prise en compte, à tort, d’indemnités de départ à la retraite, de licenciement, ou d’indemnités transactionnelle, identifiée de manière répétée par les services fiscaux dans le cadre de nombreuses vérifications) ;

 

  • la mise en œuvre par les entreprises des dispositifs relatifs à la sous-traitance entre 2017 et 2019 (différentes informations très précises étant à cet égard demandées par le Parlement).

 

Des modifications sont donc à prévoir sur ces sujets au cours des prochaines années, voire dès 2021 …

 

 

❷ Comme évoqué précédemment (voir § 2, A/), un autre rapport sur le CIR devra être remis par le Gouvernement au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2021, portant :

 

  • outre les modalités de prise en compte des dépenses de fonctionnement déterminées au titre des « jeunes docteurs » et des « frais de collection »,

 

  • sur les évolutions susceptibles d’être apportées au titre des dépenses relatives à l’amortissement et aux frais de prise, de maintenance et de défense de brevets et de COV, aux dépenses de normalisation et de veille technologique, ainsi qu’au crédit d’impôt innovation.

 

Les évolutions évoquées par la loi sont, « notamment (…) le cantonnement (de ces dépenses) à certaines catégories d’entreprises [NDLR, les PME au sens de la législation communautaire], ou, le cas échéant, à leur prise en compte pour la moitié de leur montant effectif ».

 

Le lecteur aura compris que la durée de vie de certaines de ces dépenses dans leur format actuel est désormais probablement limitée, mais se rappellera, pour être objectif, que certaines d’entre elles (par exemple, les dépenses de normalisation) ne représentent qu’un infime pourcentage des dépenses de recherche éligibles déclarées chaque année par les entreprises optant pour le CIR.

 

III. Sur le plan des très mauvaises nouvelles, notamment pour les PME, la loi de finances 2020 met un terme à la pérennité du Crédit d’impôt innovation et du Crédit d’impôt collection.

 

En effet, Le bénéfice du CII et du Crédit d’impôt collection s’appliquera aux dépenses exposées jusqu’au 31 décembre 2022, et une évaluation de l’efficacité de ces dispositifs conditionnera leur éventuelle prorogation.

 

Au regard des errements du Conseil Constitutionnel, du législateur, et de l’administration fiscale, dans leur gestion du dispositif Crédit d’impôt collection, qui conduisent à priver du bénéfice de celui-ci (souvent d’ailleurs à titre rétroactif, dans le cadre de contrôles portant sur des périodes antérieures à la modification apportée par l’administration fiscale à sa doctrine le 14 février 2019) de nombreuses PME pour lesquelles il constitue une source de financement nécessaire, on ne peut qu’être très inquiet sur la pérennité de ce dispositif après 2022. Espérons toutefois que le législateur, d’ailleurs sollicité sur le sujet par notre Cabinet qui lui a soumis des propositions concrètes sur le sujet, saura revenir à la raison et tenir compte de la réalité du terrain.

 

S’agissant du CII, dont l’utilité pour les PME n’est plus à démontrer, sa suppression serait tout simplement incompréhensible, et ne ferait que traduire les difficultés rencontrées par les services fiscaux pour contrôler ce dispositif, notamment en raison des baisses d’effectifs dans l’administration fiscale, difficultés dont les PME ne devraient toutefois pas subir les conséquences s’agissant de ce dispositif.

 

En conclusion, si l’on peut se féliciter de la prorogation du statut JEI, les autres mesures issues de la loi de finances pour 2020 dans le domaine de la fiscalité de l’innovation, bien que drapées dans une vertu budgétaire bien commode, brisent définitivement le dogme de la prétendue « sanctuarisation » du CIR, et inquiètent à moyen terme bon nombre d’entreprises, l’Etat semblant de plus en plus considérer le CIR comme une variable d’ajustement budgétaire, ce qui est source d’insécurité juridique, fiscale et financières, et n’est certainement pas compatible avec les investissements à court et long terme que requièrent nombre d’activités de recherche-développement.

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